[…] Mon prof de clown
il dit que « dans le clown il n'y a pas de banal, il n'y a
que de l'énorme ».
Alors, au retour de ce
sixième séjour haïtien, je me dis que quand même Haïti est un
énorme clown !
Oui c'est vrai ça, ce
n'est quand même pas banal, que l'on ne sache pas réellement si le
président jouisse de la nationalité du pays, mais que l'on soit
sûr, à l'inverse, de son passé de piètre chanteur de kompa,
misogyne à souhait et des sombres affaires dans lequel il est
trempé...
pas banal, que
des policiers se fassent assassiner par des sénateurs... que les
maires passent, par simple décision ministérielle, du statut d'élus
locaux à celui d'agents administratifs exécutifs...
pas banal, que
l'ancien cruel dictateur Duvalier et l'ancien président, le prêtre
Aristide, aux allures autoritaires et mégalo aussi, soient de retour
dans le pays, et y mènent une vie tranquilou bilou...
pas banal, que
des organismes internationaux s'acoquinent avec les gangs des
bidonvilles pour mieux pouvoir décaisser leurs projets et que
certaines ong fassent n'importe quoi...
pas banal, que
plus d'un million, et sûrement bien plus, de citoyens n'existent pas
aux yeux de l'Etat, car ils ne disposent d'aucun papier d'état
civil...
pas banal, de
voir ici des gens survivre parfois dans des conditions infrahumaines,
comme des chiens, des moins que rien...
pas banal, que
le virus du choléra ait été, l'an dernier, introduit dans le pays
par une garnison de la minustah, la forcée armée de l'onu, présente
ici depuis 8 ans, que le virus soit en train de muter pour mieux
tuer...
pas banal, de
monter dans un taxi, en défiant les lois de la physique, parce que
oui à plus de 6 ça le fait, et de noter que le chauffeur le fait
démarrer en se faisant toucher 2 fils...
pas banal, que
les enfants en province, dont je ne m'empêchais de penser qu'ils
pourraient être ma nièce et mon neveu chéris, passent la plus
claire de leur journée, à aller chercher de l'eau, loin, vraiment
trop loin pour des enfants...
pas banal, de
monter à Hinche, en passant par Mirebalais, et de trouver la route
bloquée par une vingtaine de barricades parce que les gens en ont
plein le cul de ne pas avoir d'électricité...
pas banal, que
le bus qui me ramenait d'Aquin appartienne à la 'Cie' 'Sang de
Jésus' (!), pour le moins un sang qui a perdu le sens de la
ponctualité...
pas banal, que
la qualité et la beauté sans nom des produits locaux et de
l'artisanat donneraient envie à Bernard Pecqueur de se tenter une
p'tite démonstration de SPL (système productif local) et de
ressources territoriales, d'aménités quoi !
pas banal, que
la créativité et l'ingéniosité dans le domaine des arts mêlés -
musique, littérature, peinture, sculpture – soient sur cette île,
dignes des plus grandes nations créatrices....
pas banal,
d'admirer des paysages d'une hallucinante beauté, mornes tropicales
et plages caribéennes, qui, si on les mettait ailleurs, feraient
rêver le monde entier...
pas banal de se
sentir ici plus que n'importe où, vibrante et vivante, en prise
directe avec les énergies de l'Histoire, notre Histoire, passée et
présente, coloniale et révoltante, post-coloniale/néolibérale et
enrageante...
Oui c'est ça en fait
je crois, Haïti est un gros clown, vraiment pas banal. Et peut-être
plus que ça encore, un spectacle vivant, un beau spectacle de
Cirque, qui fait pleurer et rire, qui créé des « émotions
qui sortent des yeux », qui fait vibrer et rêver que oui, on doit rendre la société plus juste, sensible et poétique,
simplement pour la rendre vivable...
Gaëlle Fayan