Mesdames,
Une proposition à penser à ce que provoque cette phrase, en écriture, en photo, en dessin, en vidéo, en enregistrement vocal, en danse, en poterie, en musique... en ce que vous voulez, en ce qui vous chante.
Vous pouvez choisir de signer (l'occasion de s'inventer un nom de scène !), ou de rester anonyme.
Précisez-le quoi.

mardi 19 novembre 2019

Extrait d'une lettre du 10.06.2012 - Haïti, ce gros clown


[…] Mon prof de clown il dit que « dans le clown il n'y a pas de banal, il n'y a que de l'énorme ».
Alors, au retour de ce sixième séjour haïtien, je me dis que quand même Haïti est un énorme clown !

Oui c'est vrai ça, ce n'est quand même pas banal, que l'on ne sache pas réellement si le président jouisse de la nationalité du pays, mais que l'on soit sûr, à l'inverse, de son passé de piètre chanteur de kompa, misogyne à souhait et des sombres affaires dans lequel il est trempé...
pas banal, que des policiers se fassent assassiner par des sénateurs... que les maires passent, par simple décision ministérielle, du statut d'élus locaux à celui d'agents administratifs exécutifs...
pas banal, que l'ancien cruel dictateur Duvalier et l'ancien président, le prêtre Aristide, aux allures autoritaires et mégalo aussi, soient de retour dans le pays, et y mènent une vie tranquilou bilou...
pas banal, que des organismes internationaux s'acoquinent avec les gangs des bidonvilles pour mieux pouvoir décaisser leurs projets et que certaines ong fassent n'importe quoi...
pas banal, que plus d'un million, et sûrement bien plus, de citoyens n'existent pas aux yeux de l'Etat, car ils ne disposent d'aucun papier d'état civil...
pas banal, de voir ici des gens survivre parfois dans des conditions infrahumaines, comme des chiens, des moins que rien...
pas banal, que le virus du choléra ait été, l'an dernier, introduit dans le pays par une garnison de la minustah, la forcée armée de l'onu, présente ici depuis 8 ans, que le virus soit en train de muter pour mieux tuer...
pas banal, de monter dans un taxi, en défiant les lois de la physique, parce que oui à plus de 6 ça le fait, et de noter que le chauffeur le fait démarrer en se faisant toucher 2 fils...
pas banal, que les enfants en province, dont je ne m'empêchais de penser qu'ils pourraient être ma nièce et mon neveu chéris, passent la plus claire de leur journée, à aller chercher de l'eau, loin, vraiment trop loin pour des enfants...
pas banal, de monter à Hinche, en passant par Mirebalais, et de trouver la route bloquée par une vingtaine de barricades parce que les gens en ont plein le cul de ne pas avoir d'électricité...
pas banal, que le bus qui me ramenait d'Aquin appartienne à la 'Cie' 'Sang de Jésus' (!), pour le moins un sang qui a perdu le sens de la ponctualité...
pas banal, que la qualité et la beauté sans nom des produits locaux et de l'artisanat donneraient envie à Bernard Pecqueur de se tenter une p'tite démonstration de SPL (système productif local) et de ressources territoriales, d'aménités quoi !
pas banal, que la créativité et l'ingéniosité dans le domaine des arts mêlés - musique, littérature, peinture, sculpture – soient sur cette île, dignes des plus grandes nations créatrices....
pas banal, d'admirer des paysages d'une hallucinante beauté, mornes tropicales et plages caribéennes, qui, si on les mettait ailleurs, feraient rêver le monde entier...
pas banal de se sentir ici plus que n'importe où, vibrante et vivante, en prise directe avec les énergies de l'Histoire, notre Histoire, passée et présente, coloniale et révoltante, post-coloniale/néolibérale et enrageante...

Oui c'est ça en fait je crois, Haïti est un gros clown, vraiment pas banal. Et peut-être plus que ça encore, un spectacle vivant, un beau spectacle de Cirque, qui fait pleurer et rire, qui créé des « émotions qui sortent des yeux », qui fait vibrer et rêver que oui, on doit rendre la société plus juste, sensible et poétique, simplement pour la rendre vivable...

Gaëlle Fayan